Fiche Légende : Jim Thorpe

#21, 3, 1 – Running Back

 

 

Présentation

 

GENERALITÉS
Nom complet James Francis Wathohuk « Jim » Thorpe
Date de Naissance 22/28 Mai 1887
Lieu de Naissance Prague, Territoire Indien (Oklahoma)
Date de Décès 28 Mars 1953
Lieu de Décès Lomita, Californie
CARRIÈRE
Lycée
Université Carlisle Indian Industrial, Pennsylvanie
Draft Pas de draft à l’époque
Équipes Joueur :
Canton Bulldogs (1915-1917, 1919-1920)
Cleveland Indians (1921)
Oorang Indians (1922-1923)
Rock Island Independents (1924)
New York Giants (1925)
Rock Island Independents (1925)
Canton Bulldogs (1926)
Chicago Cardinals (1928)
Head Coach :
Canton Bulldogs (1915-1920)
Cleveland Indians (1921)
Oorang Indians (1922-1923)
Président :
APFA (1920-1921)
Statistiques 8 saisons
52 matchs
HONNEURS
Pro-Bowls Pas de Pro-Bowl à l’époque
All-Pro 1 (1923)
Performances notables
Récompenses Membre de l’équipe NFL des années 1920
Hall Of Fame Classe de 1963

 

Biographie

 

Un coup d’oeil sur la présentation suffit à faire penser que Jim Thorpe n’a pas démarré sa vie de la façon la plus traditionnelle. Ce n’était que le début d’une existence fascinante entre capacités athlétiques hors du commun, mixité des origines, questionnement identitaire, rébellion, racisme, alcoolisme, célébrité et pauvreté… jusque par-delà la mort à son insu. Après tout, celui qui a donné sa crédibilité à la NFL comme sa première star et son premier président (!) est le seul membre du Hall Of Fame (et probablement de l’histoire du sport américain) à avoir sa propre VILLE à son nom, Jim Thorpe en Pennsylvanie… même si l’histoire derrière elle est glauque.

James Thorpe naît en mai 1887 près de Prague, dans un territoire indien qui correspond à l’Oklahoma aujourd’hui ; les États-Unis avaient réservé cet espace pour les tribus autochtones. Il représente un vrai melting pot d’influences diverses via ses parents : Hiram Thorpe est moitié britannique et moitié amérindien de la tribu des Sac (ou Sauk) and Fox, alors que sa mère Charlotte, née Vieux, est moitié française et moitié amérindienne de diverses tribus. Ces dernières n’étant pas à cheval sur l’administration à l’époque, il n’y a pas de certificat de naissance pour le petit Jim et son frère jumeau Charlie, ce qui donne une date de naissance fluctuante selon les sources entre le 22 et le 28. Comme il est de tradition dans les tribus amérindiennes, le garçon possède également un nom indien : Wa-Tho-Huk, qui signifie Bright Path ou Chemin Lumineux.

Étant donné le niveau d’éducation des autochtones et la manière dont ils étaient traités par le gouvernement à l’époque (ils n’étaient pas encore considérés comme des citoyens américains), les Thorpes s’en tirent mieux que la moyenne grâce à leur ascendance européenne. En grandissant, Jim et Charlie sont très proches mais semblent prendre des chemins opposés : le premier est une forte tête rebelle qui reçoit souvent des corrections de son père, alors que le second est bien plus calme. Lorsqu’il intègre l’école élémentaire Sac and Fox, Jim se met à détester cette discipline et il n’y a que deux choses qui le retiennent : Charlie et le baseball qu’il découvre. Malheureusement, la tragédie frappe alors qu’il a neuf ans : son frère jumeau décède d’une pneumonie.

Le garçon, dévasté, s’enfuit de l’école de plus en plus souvent pour retourner chez lui. Ses parents finissent par l’envoyer à l’Institut Haskell, espérant que la distance sera suffisante pour le maintenir en classe. Thorpe déteste aussi l’Institut, mais il y découvre le football, un autre sport qu’il se met à adorer et à jouer avec des amis (mais pas avec l’école, les entraîneurs de l’équipe le snobant car le jugeant trop petit). C’est alors qu’il apprend que son père a été gravement blessé dans un accident de chasse, et il s’enfuit pour revenir chez lui. Une fois rassuré sur son état de santé, il refuse de repartir à Haskell et reste à la maison, travaillant de nouveau à la ferme.

Mais une énième dispute entre Hiram et lui, aussi bornés l’un que l’autre, le pousse à quitter la ferme familiale et à travailler dans une autre au Texas. Lorsqu’il revient, il apprend une autre terrible nouvelle : sa mère est morte en couche. Son père essaie de l’inscrire dans une autre école (Garden Grove), moins stricte et ouverte à tous ; cela plaît bien mieux à l’adolescent qui ne la fuit pas. Sa prochaine destination est la Carlisle Indian Industrial School situé à Carlisle, Pennsylvanie ; la première école pour amérindiens financée par le gouvernement. A peine arrivé, le jeune Jim est encore frappé par la fatalité : son père décède à son tour, et il s’enfuit de nouveau, retournant travailler dans des fermes pour oublier son chagrin.

Il retourne finalement à Carlisle, où il commence à faire parler de lui pour ses prouesses athlétiques ; bien qu’il soit encore une fois jugé trop chétif pour participer à la réputée équipe de football des Carlisle Indians (Thorpe faisait 1m65 pour 54 kgs à 16 ans), il fait du bruit dans l’équipe formée par le tailleur de l’école. Un jour, il se retrouve aux abords de l’entraînement d’athlétisme et réussit à passer une barre de 1m75 en habits de tous les jours. Cela lui permet d’être remarqué par le coach, le légendaire mais encore inconnu à l’époque Glenn « Pop » Warner. L’adolescent prouve de suite ses capacités exceptionnelles : course en ligne ou avec haies, saut en hauteur, saut en longueur, tout semble facile pour lui. Néanmoins, Warner, qui entraîne aussi l’équipe de football, semble toujours réticent à le tester sur le gridiron à cause de son gabarit.

L’athlète finit par prendre le taureau par les cornes et demander un essai, balle en main ; d’abord réticent, le coach lui dit avec ironie d’aller offrir un entraînement de plaquage aux titulaires. Mais Thorpe laisse tous les plaqueurs derrière lui et score aisément. Warner, estomaqué, lui demande de le refaire ; le jeune prodige s’exécute, et ce malgré des adversaires désormais avertis. C’est le début de Jim Thorpe, joueur titulaire de football, car le bougre ne va pas se limiter à porter la balle : il sait également bloquer, défendre et frapper la balle au pied.

En 1909, son cursus à Carlisle s’arrête, et il part en Caroline du Nord pour devenir lanceur de l’équipe de baseball des Rocky Mount Railroaders, en ligue mineure. C’est son premier poste en tant que professionnel, même si la paye n’est pas faramineuse puisqu’il accepte 15$ par semaine pour se nourrir. En 1911, Warner le rappelle à ses côtés et Thorpe accepte ; il est voté All-American alors que l’équipe termine 11-1.

Mais son année la plus faste intervient en 1912, où il connaît toutes les émotions. Tout d’abord, pour bien prouver qu’il est un athlète complet, il remporte le titre national de… danse de salon. Ensuite, son excellence en athlétisme lui permet d’être sélectionné pour les Jeux Olympiques de Stockholm dans deux disciplines : le pentathlon et le décathlon. Dans la première, il fait déjà une grosse impression, finissant respectivement premier, quatrième, premier, premier et premier, remportant aisément l’or. Dans la seconde, il termine quatre fois premier, deux fois deuxième, trois fois troisième et une fois quatrième, remportant une nouvelle médaille d’or avec une marque de 8412.95 points qui ne sera battue qu’en 1932.

A son retour aux États-Unis, Thorpe est un héros qui a le droit à sa parade ; il déclare qu’il ne pensait pas que quelqu’un pouvait avoir tant d’amis qui crient son nom. Il faut dire que c’est quelque chose de différent pour cet enfant issu d’un mariage mixte et qui a connu le racisme sous toutes ses formes, qu’elles soient directes ou indirectes. Mais son année folle n’est pas finie : en septembre, il retourne à Carlisle pour entamer la saison de football. Il est de nouveau voté All-American en étant la force principale derrière le titre national des Indians. Il score 25 touchdowns et 198 points tout en permettant à l’équipe de battre les prestigieuses Universités de Harvard, Syracuse, Pennsylvanie ou Army, dans laquelle joue un certain Dwight Eisenhower qui se blesse au genou en essayant de le plaquer ; celui-là même qui deviendra le 34ème président des États-Unis. Mais la période de bonheur ne va pas durer longtemps.

L’année 1913 commence en coup de tonnerre : en janvier, un journal révèle que Thorpe a joué au baseball professionnel à Rocky Mountains. Il a en effet commis un grave oubli : s’il est vrai que beaucoup d’universitaires ont joué dans des équipes semi-professionnelles, ils l’ont toujours fait sous un pseudonyme pour protéger leur éligibilité dans le monde amateur. Or Thorpe n’avait aucune idée des implications et n’avait pas pris cette précaution : l’Amateur Athletic Union (AAU) lui retire rétroactivement le statut amateur, et l’Olympic International Committee (IOC) lui emboîte le pas, le déclassant et lui sommant de rendre ses deux médailles d’or. Certains vont protester contre cette pratique car, normalement, toute réclamation doit être faite dans les 30 jours suivant la cérémonie de clôture des jeux ; là, il s’était passé plus de six mois. Mais l’AAU et l’IOC ne changent pas leur décision, et les gens commencent vraiment à se demander si le vrai problème avec Thorpe ne serait pas sa couleur de peau.

Ce dernier, fataliste, rend ses médailles et tire parti de la situation : au moins, il est maintenant officiellement professionnel, ce qui va lui permettre de gagner sa vie. Dès 1913, les premiers à se manifester sont les New York Giants de la Major League Baseball (MLB) ; son arrivée fait du bruit dans la ligue. Il fait un rapide passage par les Milwaukee Brewers de ligue mineure en 1916 avant de retourner chez les Giants en 1917. Il est de suite envoyé aux Cincinnati Reds (1917) avant de revenir aux Giants (1918-1919) et de finir la saison aux Boston Braves (1919) ; il finira en ligue mineure jusqu’en 1922, mettant fin à sa carrière après 289 matchs de MLB.

Cependant, Thorpe n’a pas mis de côté l’idée de devenir aussi un footballeur. En 1913, il joue chez les Pine Village Pros, basés dans l’Indiana, et en profite pour entraîner à l’Université d’Indiana. En 1915, le General Manager des Canton Bulldogs Jack Cusack le signe pour booster l’équipe et les finances ; cela marche sur les deux niveaux : l’équipe attire les foules et remporte des titres non-officiels en 1916, 1917 et 1919 derrière sa nouvelle locomotive. Lorsque l’American Professional Football Association (APFA), la future NFL, est créée en 1920, les Bulldogs en font partie grâce notamment à la présence de la superstar Jim Thorpe ; la jeune ligue va même jusqu’à le nommer au poste de président pour lui donner un maximum de visibilité.

Cette petite folie ne va durer qu’un an ; Thorpe est un homme simple qui n’est pas fait pour une telle fonction, et dès 1921 il est remplacé par Joe Carr. En 1921, il rejoint les Cleveland Indians comme entraîneur-joueur, puis il reconnecte avec ses racines : 1922 voit la naissance des Oorang Indians, une équipe exclusivement composée de joueurs amérindiens. Le fondateur, Walter Lingo, donne les pleins pouvoirs à Thorpe pour recruter et entraîner les joueurs ; de fait, il retrouve plusieurs anciens camarades de Carlisle. C’est également une équipe dans laquelle les joueurs portent tous avec fierté leurs noms indiens, tels Long Time Sleep, Joe Little Twig, Big Bear, War Eagle et, bien entendu, Bright Path lui-même. Cela dure deux ans, en 1922 et 1923, car l’équipe n’est pas très bonne (record cumulé de 5-16), et Lingo préfère la dissoudre ; cela n’empêche pas l’homme-à-tout-faire d’être nommé dans l’équipe All-Pro en 1923.

Redevenu Jim Thorpe à la fin de cet épisode, il joue pour les Rock Island Independants en 1924, puis commence un tour final de deux ans en NFL entre les New York Giants (du football cette fois), les Independants et les Bulldogs. En 1926, il monte une équipe d’exhibition, les Tampa Cardinals, qui ne dure qu’une saison, et il revient faire un dernier match pour les Chicago Cardinals en 1928. Il se retire ensuite définitivement du terrain après huit saisons en NFL comme un des joueurs les plus complets : coureur, bloqueur, plaqueur, kicker, punter, il savait tout faire… voire même l’impossible ; comme preuve de l’imaginaire nourri par ses prouesses athlétiques, la légende raconte qu’il aurait, un jour, récupéré son propre punt de l’autre côté du terrain.

Le problème, c’est que Jim Thorpe est avant tout un athlète, et probablement uniquement un athlète. Il entre dans la vie hors des stades en plein début de la Grande Dépression, et il enchaîne les petits boulots pour un salaire de misère. Des fans lui payent un siège près du vice-président américain en 1932 pour être présent à l’ouverture des Jeux Olympiques de Los Angeles, mais ce n’est qu’un répit. Le peu d’argent qu’il gagne ou a gagné est partagé avec les siens, comme il a toujours été d’usage dans la tribu des Sac and Fox ; cela attire bien évidemment les profiteurs. Il manque constamment d’argent, et le fait d’être désigné comme le meilleur athlète de la première moitié du XXe siècle n’y change rien. De plus, il a des problèmes avec l’alcool, ce qui n’arrange rien.

Jim Thorpe disparaît dans la pauvreté le 28 mars 1953, bien loin de l’athlète adulé et respecté qu’il a été. 10 ans plus tard, il fait partie de la classe inaugurale du NFL Hall Of Fame ouvert en 1963. En 1982, après des années de lutte, la Jim Thorpe Foundation est créée par l’auteur Robert Wheeler et sa femme comme association caritative mais également comme vecteur de la réhabilitation des médailles d’or de l’athlète. Elle finit par obtenir gain de cause, à la surprise générale, en prouvant ce que tout le monde savait déjà : la découverte des activités professionnelles de Thorpe a été bien faite après la période de 30 jours. Les médailles ayant été volées dans un musée depuis, d’autres ont été remises aux enfants, et le nom de Jim Thorpe a été réintégré au palmarès… mais seulement comme co-vainqueur du second devenu premier suite à la destitution ; de plus, ses marques lors du pentathlon et du décathlon ne sont pas enregistrées. Tel un champion fantôme.

Et pourtant, ce n’est pas l’événement le plus déplorable : après sa mort, le consensus était que Thorpe soit enterré à Shawnee, dans l’état d’Oklahoma, l’endroit qu’il considérait comme sa maison. Avant que le déplacement du corps n’ait lieu, la troisième et dernière femme de Thorpe vend ses restes aux villes de Mauch Chunk et East Mauch Chunk qui voulaient se faire de la publicité. Il est enterré et les deux villes fusionnent pour devenir Jim Thorpe, Pennsylvanie. Démarre une bagarre judiciaire en 2010, menée par le fils Jack Thorpe pour récupérer la dépouille de son père. Finalement, en 2015, l’affaire est définitivement classée sans suite, comme le dernier chapitre morbide d’une lente descente aux enfers qui n’en avait pas besoin.