Mailbag QPUL : Virez Goodell et les années fantômes !

Nouvelle édition de notre mailbag Questions Pour Un LatestHuddle.

Cette semaine, on fait un rapide tour historique des commissioners de la NFL, et on a la mâchoire qui tombe par terre à cause d’un montant de Franchise Tag astronomique (en expliquant comment on en est arrivé là).

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Guillaume : Après la suspension infligée par Goodell à Ray Rice, je lis pour la énième fois des « Fire Goodell » un peu partout, alors je me suis bêtement demandé : que faut-il pour renvoyer un commissioner NFL ? Est-ce que c’est déjà arrivé ? Un petit historique rapide des commish et de leurs principales faits marquants serait cool aussi si possible :).

C’est très simple : ce sont les propriétaires qui votent pour l’élection d’un nouveau commissioner, donc ce sont également eux qui peuvent voter pour le renvoyer. On n’a encore jamais vu une motion de censure pareille en NFL.

Un petit historique rapide des « commish » et de leur impact sur la NFL :

Jim Thorpe (1920-1921) : Thorpe avait été choisi même s’il était aussi joueur parce qu’il était le nom le plus connu dans la toute jeune NFL (APFA à l’époque). Au final ce n’était pas possible pour lui de faire les deux, laissant sa place à…

http://store.profootballhof.com/assets/item/thumbnail/01127_3282.jpgJoseph Carr (1921-1939) : le premier commish emblématique de la NFL a réussi à la faire survivre malgré la désorganisation notoire de la ligue au début – équipes qui montent et disparaissent aussitôt, calendrier imprécis, titres décernés de manière douteuse (1921, 1925), etc. C’est lui qui a lancé la NFL sur les rails en corrigeant les manques les uns après les autres : constitution d’un règlement, droits territoriaux des franchises, créations de contrats entre les joueurs et les équipes, calendriers, classements, etc. Il a su préserver l’existence de la ligue et lui apporter une stabilité, même fragile, dans des temps compliqués; pour cela, il a toujours choisi des propriétaires de franchises fortunés et solides dans des marchés importants (mis à part pour Green Bay).

Carl Storck (1939-1941) : il a succédé à Carr après la mort de ce dernier, mais il n’a pas duré longtemps.

Elmer Layden (1941-1946) : l’ancien du fameux Four Horsemen de l’Université de Notre Dame a servi de commish après Storck, et c’est d’ailleurs le premier à avoir porté le titre de Commissioner, car avant le poste était celui de « Président ». La principale tâche de Layden a bien évidemment été de maintenir la NFL à flot pendant la Seconde Guerre Mondiale malgré les joueurs partis au combat; il a d’ailleurs dû autoriser la fusion de Pittsburgh avec Philadelphie pendant un an pour former les fameux Steagles. Sa décision de laisser le propriétaire de la franchise de Brooklyn retirer son équipe pour rejoindre l’AAFC concurrente a eu raison de sa place; les propriétaires n’ont pas renouvelé son contrat (donc techniquement il n’a pas été renvoyé).

http://www.profootballhof.com/assets/Bell_Bert_HS_180-220.jpgBert Bell (1946-1959) : deuxième figure icônique du poste dans l’histoire, Bell était propriétaire des Steelers à l’époque (dont il s’est logiquement retiré). Il a bâti sur l’oeuvre de Carr en l’améliorant grâce à des idées novatrices : le système de répartition des revenus, aidant ainsi les petits marchés à survivre, et le blackout télévisuel qui pousse les locaux à aller au stade pour voir leur équipe. Il a orchestré la fusion avec l’AAFC, et a mis en place des lois contre les paris des joueurs (ce qui mènera d’ailleurs à la suspension de Paul Hornung et Alex Karras en 1963).

Austin Gunsel (1959-1960) : Pas grand-chose à dire, et c’est tant mieux car il a rapidement laissé sa place à nul autre que…

http://www.profootballhof.com/assets/Rozelle_Pete_HS_180-220.jpgPete Rozelle (1960-1989) : LE nom le plus reconnaissable d’entre tous, celui qui a fait entrer la NFL dans une nouvelle ère de progrès et de croissance. Ancien General Manager des Rams de Los Angeles, Rozelle était un visionnaire qui a rapidement compris une chose : la lutte avec l’AFL allait conduire les deux ligues à leur perte, et il y avait du bon à prendre chez eux en matière de télévision. Le premier point a mené à la fusion des deux ligues en 1970 (et l’invention du Super Bowl), et le second point a mené à un contrat global de la NFL avec la télévision, et non plus un contrat par équipe; cela a assuré un profit égal pour toutes les franchises. Ses actions ont permis à la ligue de croître en nombre de franchises (28), de spectateurs et de téléspectateurs. Par contre, il n’a pas vraiment fait grand-chose pour améliorer la rémunération des joueurs et leur liberté en fin de contrat, ce qui a provoqué les deux grèves de 1982 et 1987; il y a également eu les problèmes de drogues, et les prises de bec avec les propriétaires rebelles comme Al Davis. Enfin, il a pris la décision controversée de maintenir les matchs NFL le week-end suivant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy; le fait d’affronter un événement terrible le relie à son successeur…

http://photos.famouswiki.com/p/paul-tagliabue-31838/gallery/paul-tagli-578792.jpgPaul Tagliabue (1989-2006) : ancien avocat de la NFL, Tagliabue a lui aussi eu son grave moment à gérer avec les attaques du 11 Septembre; contrairement à Rozelle, lui n’a pas maintenu les matchs le week-end suivant (et a été unanimement salué pour cela). En général, il est considéré comme un des meilleurs patrons de la NFL : il a continué l’oeuvre de Rozelle en étendant la ligue à 32 franchises, il a augmenté son importance à la télévision, il a insisté sur le rôle de la jeunesse dans son avenir et a mis en place une politique d’intolérance contre les substances illicites (et dieu sait que dans les années 1990 il a eu du travail). Mais, bien entendu, le symbole de sa présidence est l’invention de la Free Agency et du Salary Cap, garantissant une meilleure circulation des talents et empêchant les disparités salariales entre les équipes; cela a permis à la ligue d’être plus équilibrée, et donc plus compétitive. Néanmoins, bien entendu tout n’est pas rose dans son mandat : il y a eu le déménagement des deux franchises de LA en 1995, le lockout de 2011 en partie dû au CBA « foireux » signé en 2006 avant son départ, son déni du problème des commotions et le début de la No Fun League avec bans de célébration etc. Ce qui nous amène donc logiquement à…

Roger Goodell (2006-) : le protégé de Tagliabue. Je ne sais pas comment il sera perçu quand son successeur prendra sa place, mais je pense qu’il sera résumé par deux points principaux : les « gates » (Spygate, Bountygate) et le problème des commotions pendant et après la carrière. Le dilemme de Goodell aujourd’hui est de continuer à séduire les parents pour attirer les jeunes tout en réparant les « oublis » de ses prédécesseurs (i.e. les procès des anciens joueurs) et en ne perdant pas complètement l’âme du sport.

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Bob : 26M$ le Franchise Tag de Ndamukong Suh en 2015 ? C’est énorme (et abusé).

En effet, j’ai lu 25.7M$ et 26.9M$, mais le chiffre exact n’est pas grave, c’est l’ordre d’idée qui est frappant : le Franchise Tag d’un Defensive Tackle en 2014 était de… 9.652M$, soit quasiment trois fois moins.

Alors comment est-ce possible ? Simple : c’est une des choses que la NFL a voulu supprimer en instaurant l’échelle des contrats rookies à partir de 2011, couplée à un sauve-qui-peut massif des Lions qui leur revient en plein dans la face (comme toujours avec les contrats NFL). Mais reprenons depuis le début.

PS : C’est un peu technique, donc vous pouvez aller consulter l’article de l’Encyclopédie sur les Contrats NFL et celui sur la Free Agency qui détaille le système du Franchise Tag si vous perdez le fil.

Ndamukong Suh a été drafté #2 en 2010, juste après Sam Bradford; c’était la dernière année avant l’établissement de la fameuse échelle des contrats rookies. Il a signé un contrat monstre de 5 ans et 63.5M$ dont 23.25M$ garantis; pour comparaison, un an plus tard, le #2 de 2011 Von Miller a signé un contrat de 4 ans (+ option sur la 5e) pour 21M$ dont 13.8M$ garantis… donc, non, vous ne rêvez pas, Suh a touché plus d’argent garanti de son contrat que ne touchera Miller sur la totalité du sien (qui n’est même pas encore fini !). C’est le paroxysme des contrats rookies pré-2011 (pour info, Bradford c’était 6 ans et 78M$).

A partir de là, vous vous doutez bien qu’avec des chiffres totaux aussi ronflants, le salaire de base doit grimper en flèche; et quand ce n’est pas le salaire de base, c’est un option bonus de 17.35M$ en 2011 qui s’étale sur les années restantes du contrat. Quand vous êtes dans une équipe avec un Matthew Stafford et un Calvin Johnson qu’il faut aussi payer à la catapulte, tout d’un coup le poids d’un contrat pareil est beaucoup trop lourd.

Johnson Suh
« – C’est ta faute si j’ai dû restructurer !
– Hey attends, moi AUSSI j’ai restructuré ! »

C’est là que commence la fuite en avant ou effet boule de neige, et pourquoi ne pas commencer par une bonne grosse horreur : on prolonge artificiellement la vie du contrat en rajoutant une sixième année fantôme en 2015 qui est annulée cinq jours après le Super Bowl de la saison 2014-2015. Oui, c’est bel et bien une année totalement vide de sens contractuellement et qui n’a qu’un seul but : étaler les bonus sur une plus longue période pour réduire leur poids sur le Salary Cap chaque année. Je déteste les années fantômes : c’est un procédé stupide pour mauvais gérants qui méritent totalement que ça leur explose à la face (hello argent mort !). Sans surprise, les deux plus gros coutumiers du fait sont les Cowboys et les Raiders pré-Reggie McKenzie (quand je vous disais qu’il a dû nettoyer un sacré bazar à Oakland avant d’assainir les comptes).

On poursuit la survie dictée par le Salary Cap : on ne restructure pas le contrat une fois mais deux fois de suite, en 2012 et 2013; on transforme un total d’environ 21M$ de salaire de base en bonus de signature pour l’étaler sur les années qui restent, y compris l’année fantôme. Bien entendu, ce nouveau bonus rejoint l’option bonus cité plus haut, ce qui fait un joyeux magma d’environ 10M$ de bonus par an de 2013 à 2015.

Arrivé(e) à ce point, vous allez me dire : « c’est bien Kuro et tu t’énerves – à juste titre – et tout, mais tu ne réponds pas à la question du gentil monsieur. » J’y arrive : à force d’avoir mis en péril demain pour sauver aujourd’hui, cette année Suh va gagner 12M$ en salaire de base + environ 10M$ de bonus, soit un poids de 22M$ sur le Salary Cap. Rien de tout cela n’est optionnel, rien de tout cela n’est lié à une quelconque performance, la totalité est garantie, et peut donc être considérée comme le « salaire » de Suh pour 2014.

Et il n’y a pas que dans le Salary Cap que ça a un impact : ça intervient également si jamais vous décidez d’appliquer le Franchise Tag l’année suivante. En effet, je vous rappelle que la valeur du Franchise Tag est le plus grand montant entre :

  • La moyenne des cinq plus gros salaires au poste (Mai de l’année en cours ou année dernière selon qu’il soit Exclusif ou Non-Exclusif);
  • 120% du salaire de l’année précédente.

Suh étant le Defensive Tackle le mieux payé de la ligue, le calcul est vite fait : on oublie la première option et on s’apprête à aligner 120% de 22M$. Voilà comment on arrive à un chiffre aussi énorme qu’entre 26 et 27M$ pour le Franchise Tag de Suh en 2015.

Bien sûr, la question ici n’est pas de savoir si Suh mérite son contrat ou non. Ce sur quoi je veux attirer votre attention, c’est la combinaison contrat rookie mirobolant + gestion catastrophique + effet boule de neige = les Lions seront dans une situation intenable en 2015 : forcer un Franchise Tag qu’ils ne pourront pas gérer à moins d’hypothéquer encore leur Salary Cap, ou risquer de laisser Suh aller en Free Agency et partir dans une enchère au plus offrant qu’ils ne pourront pas gérer non plus à moins d’hyp… bref vous avez compris.

La seule solution pérenne est un contrat bien construit et pas trop coûteux pour l’équipe… et que Suh l’accepte pour rester à Detroit évidemment.

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C’est la fin de ce mailbag qui, lui, n’est pas fantôme.

N’hésitez pas à continuer d’envoyer des questions à l’adresse latestmailbag at yahoo dot com.