Sur les récentes relations NFL/NFLPA

J’ai décidé de me lancer dans un petit exercice différent de ce dont vous avez l’habitude sur LatestNFL.

J’avais envie de plonger un peu en profondeur sur les relations NFL/NFLPA cette dernière année qui a été riche en rebondissements, du lockout au Bountygate en passant par l’affaire Cowboys/Redskins. Et puis il faut bien lire quelque chose en attendant que Manning prenne sa décision.
Personne ne connaît la véritable vérité (à part les parties concernées), donc vous pouvez prendre cette article comme une opinion qui peut déboucher sur un débat. Je me suis pas mal inspiré d’un article sur Profootbaltalk.com que je trouve pertinent et qui m’a poussé à recueillir pas mal d’infos.

Je ne vais sûrement rien vous apprendre, ce n’est pas l’amour absolu entre la NFL (la ligue de football américain, représentée par Roger Goodell et les 32 propriétaires de club), et la NFLPA (l’union de l’ensemble des joueurs dans la NFL, représentée par DeMaurice Smith et quelques joueurs actifs).
Le Bateau de la NFL

Le premier round était évidemment les négociations du CBA, le Collective Bargaining Agreement, en gros le plan de construction de la ligue pour les années à venir (quel sera le salary cap, comment les revenus de la ligue grâce à la télé vont-ils être partagés, que prévoit-on pour les retraités du foot US, quelle couverture sociale, etc etc).

Ce qui est intéressant, c’est de voir les conséquences immédiates aujourd’hui. Je reviens aux composantes du CBA, dont la plus importante est bien évidemment le fameux salary cap, le plafond maximal que les équipes ne doivent pas dépenser en une année. C’est une mesure courante aux Etats-Unis (tous les sports majeurs en ont) qui permet de garantir un minimum l’équité sportive entre les équipes : impossible d’acheter tous les meilleurs joueurs à des prix astronomiques comme on peut le voir dans un certain autre sport .

Le CBA, c’est un petit arrangement entre ennemis à couteaux tirés, comme vous pouvez l’imaginer; la NFL et la NFLPA ont des intérêts différents (NFL : faire du fric, NFLPA : penser à la sécurité des joueurs sur, autour et « après » le terrain). Périodiquement (en général tous les 5/6 ans) les deux parties se rencontrent pour prolonger ce CBA sans lequel ce serait l’hallali. Bien évidemment, c’est déjà parti en sucette plusieurs fois : dans la NFL, les saisons 1982 et 1987 ont été raccourcies à cause d’une grève des joueurs, et si l’on sort du gridiron, la NHL a vu la saison 2005 annulée et la NBA a vu la saison 1998 et 2011 raccourcies.
Rapprochons-nous un peu de notre temps, voire même tout tout proche : l’affaire des Cowboys/Redskins. En surface, ça a l’air plutôt « simple » : revenons en 2008. Le CBA en place, signé en 2006, doit arriver à expiration en 2012 (et déjà en 2006, on était très proche du lockout). Il y a une clause dans ce CBA de 2006 qui explique que les propriétaires ont le droit de s’en retirer au cas où ils se rendent compte qu’ils ont un peu trop tirer sur la picole au moment des négociations. La date limite pour prendre cette décision est le 8 Novembre 2008.
GTFO !

Le 20 Mai 2008 les propriétaires décident de se retirer du CBA car, je cite : « L’actuel CBA ne reconnaît à sa juste valeur ni le coût de la génération des revenus dont les joueurs obtiennent la plus grosse part » -sous-entendu le prix de la location du stade, les impôts fonciers/sur le revenus/sur le yacht de Mr Le Proprio- « ni le fait que ces coûts ont substantiellement augmenté (…) dans les années récentes au vu du climat économique difficile de notre pays« . En d’autre termes, putain de subprimes ! Ce retirement n’est pas effectif tout de suite, il n’arrive qu’en 2010 (évidemment, la NFLPA ne va pas autoriser que les proprios ferment la vanne du foot US à eux seuls quand ils en ont envie tout de suite là maintenant).

On accélère jusqu’en 2010. Avec le retirement des proprios, le CBA se retrouve amputé d’un an (expirant en Mars 2011) et du coup l’année 2010 est une année sans CBA, et donc sans salary cap, c’est à dire purement et simplement sans plafond salarial, permettant aux clubs de sortir les trucks à biftons. A côté de cela, Goodell tente quand même de sortir sa règle en ferraille pour prévenir : « faites pas n’importe quoi, sinon c’est tape sur les doigts… spécifiquement, pas de frontloaded contracts » (je reviens sur ce terme juste après). Il essaye d’instaurer un semblant d’ordre dans ce qui part pour être une année d’orgie dépensière (et on connaît certains, ils n’attendent que ça, n’est-ce pas Dan Snyder ou Jerry Jones).
Evidemment je ne cite pas ses noms là au hasard, puisque ce sont les proprios respectivement des Redskins et des Cowboys. Les deux décident que Goodell sux et dépensent comme des malades. Ce qu’on leur reproche aujourd’hui, c’est d’avoir effectué ces fameux frontloaded contracts, à l’inverse des backloaded contracts qui sont l’apanage de la NFL. Chtite explication : en général, quand un joueur signe un contrat, le club fait en sorte que le salaire de base du joueur augmente avec le temps. C’est d’une logique implacable : ainsi, la franchise minimise l’impact sur son salary cap au début d’un contrat qu’il est possible que le joueur ne termine mêmepas.
L’album préféré de Haynesworth

Ca, c’est le backloaded contract, le contrat qui repousse le fric sur l’arrière. Mais pendant 2010 les deux zozos du portefeuille ont fait l’inverse : puisqu’il n’y a plus l’ANCIEN plafond, et que les négociations pour un nouveau CBA vont arriver en 2011 avec un NOUVEAU plafond, alors profitons-en, chargeons la mule AU DEBUT du contrat, en 2010, et on se déchargera du plus gros des sous à ce moment-là. D’où l’appellation frontloaded contract, des contrats chargés « à l’avant ». Les deux exemples les plus criants sont :

  • La signature en 2009 d’Albert Haynesworth chez les Reds pour la modique somme de 100M$ (pour un rendement assez pharaonique de… que dalle)
  • La signature en 2010 de Miles Austin chez les Boys pour un salaire de base astronomique de 17M$. Surprise, surprise, en 2011 avec le nouveau CBA en place, le salaire de base est redescendu à… 680K$ (c’est à dire le 1/25e !!!!) et la différence entre 2010 et 2011 est « transformée » en bonus de signature étalé sur la durée du contrat.
Le problème c’est que la ligue doit avaliser tous les contrats liés aux joueurs. Relisez bien cette phrase, car c’est maintenant qu’on rentre dans le vif du sujet. La ligue doit avaliser tous les contrats liés aux joueurs. De plus, il y a tout de même la règle des « 30% » qui indique que le salaire de base d’un joueur ne peut pas gagner ou perdre plus de 30% de sa valeur d’une année sur l’autre. Alors posez-vous la question : pourquoi donc la ligue n’a-t-elle pas bougé avant ? Il leur aurait suffi de prendre la règle en fer susnommée et d’aller se défouler sur les petits malins qui pensaient contourner le système. Certains vont vous dire : « simple, il n’y avait pas de CBA. Pas de CBA, pas de règle, pas de punition ». Et vous savez quoi ? Dans l’absolu, c’est parfaitement exact. Mais alors, pourquoi ces punitions ? Et pourquoi maintenant ?
Je vous donne la réponse : le contrat de DeMaurice Smith se termine ce mois-ci, et la ligue savait déjà que le salary cap allait baisser en 2011. De l’ordre de 4/5 M$, pour passer environ de 120M$ à 116M$. Oui, je sais ce que vous allez me dire : « ben pourtant, 4/5 de perdus sur 120, ce n’est pas si énorme ». Si vous vous dites ça, vous avez oublié le contexte de l’offsaison 2011 : la guéguerre de négociation pour le nouveau CBA était avant tout une histoire de gros sous et de répartition de bénéfices entre les proprios et les joueurs; on se rappelle la fameuse demande de la NFLPA de voir les comptes des clubs sur 10 ans pour prouver que les proprios ne gagnaient pas autant d’argent comme ils le déclaraient.
This is… the NFL.

Vous imaginez, un an seulement après tout ça, la NFL qui arrive la bouche en coeur pour dire « bon les mecs, vous allez devoir gagner moins de sousous, parce que le salary cap descend ! ». C’était la révolution assurée avec nouveau bordel en vue. Donc Goodell, au final, s’est dit : « oh ben tiens… le contrat de Smith comme boss de la NFLPA court jusque l’année prochaine… et là j’ai de quoi taper sur des clubs qui m’ont pas écouté… eh bien on va attendre gentiment 2012. On va échanger la promesse à Smith de ne pas se faire virer à coups de pied dans le cul par les joueurs en remontant le salary cap à un niveau normal… à condition qu’il accepte qu’on use de la règle en fer sur Washington et Dallas« .

Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. Vous pensez réellement qu’avec le Bountygate full power, Goodell avait besoin d’un autre problème pareil sur les bras ? Et est-ce que vous croyez que l’annonce de ce « scandale » pile avant l’ouverture de la free agency 2012 est un hasard ? Alors que tous les yeux avides de foot sont braqués sur la NFL à l’orée de cette période si importante ? Nope, Goodell n’aurait sûrement pas voulu de toute cette pub… sauf si c’était pour forcer Smith à accepter le marché. Et du coup, on a eu les sanctions idoines : perte de salary cap pour les deux équipes, et redistribution aux 30 autres moins les Saints et les Raiders (qui visiblement auraient également fait des frontloaded contract mais « mineurs »).
Maintenant, c’est là qu’on attaque la partie vraiment refoulante du goulot. Cette modification du salary cap doit être ratifié dans le nouveau CBA, et pourtant elle a eu lieu sans l’accord des proprios ou des joueurs. Juste un trafic entre Goodell et Smith. On ne peut décemment pas ranger ça dans la catégorie des « arrangements à l’amiable » sinon n’importe quel trafic peut être fait dans les garages sous-terrains de la NFL et on met tout le monde devant le fait accompli; on peut alors utiliser le pavé du CBA comme presse-papier, comme ça au moins il sera « utile ».
Mais les deux parties avaient tout intérêt à ce que ça reste secret :
  • Goodell voulait pousser Smith à accepter le deal sans que les proprios viennent mettre leur nez dans l’affaire. En effet, il suffit de 9 votes de proprios « contre » pour annuler une modification du CBA. On peut déjà penser que Jones (Boys), Snyder (Reds), Benson (Saints) et Davis (Raiders) allaient voter contre.
  • Smith ne pouvait pas prendre le risque que la somme du CBA aussi basse soit divulguée aux joueurs, sinon son mandat se terminait avec le goudron et les plumes.
Et donc, à quelques jours d’intervalle, on apprend 1) le « scandale » et 2) la décision de Goodell. Tout ça pour garder la face, je peux vous garantir que Goodell savait déjà ce qu’il allait faire la première fois qu’il a vu certains contrats signés en 2010.
Don Godellone

Et vous savez le plus ironique ? La ligue se bat farouchement contre ce qu’on appelle les collusions, c’est le même terme en français et en anglais. La collusion, c’est une entente entre deux parties au préjudice d’une troisième. Par exemple : interdiction pour les clubs et les joueurs de causer contrats avant que la période de free agency ne démarre… ce qui n’empêche pas d’avoir l’avalanche de contrats dès le début de la période, mais ce n’est pas le sujet :). Et donc là, bien évidemment, si on a pas une gigantesque collusion entre Goodell et Smith, je ne sais pas ce qu’on a.

Libre à vous de remplacer le terme collusion par un autre terme à connotation plus péjorative, parce que ça ressemble plus à « une offre qu’il ne pourra pas refuser » comme dirait Marlon Brando dans Le Parrain.


Ceci dit, le papy Goodell est le roi de la sanction à retardement : il avait déjà des rapports sur le « Bountygate » dès 2009, mais il avait besoin de plus d’informations, c’est pourquoi l’affaire ne sort qu’aujourd’hui. D’ailleurs, la NFL et la NFLPA continuent à se tirer dans les pattes à ce sujet.

Salauds ! Des Bounties ???

Vous savez tous de quoi il s’agit, pas la peine de revenir dessus. La NFL a diligenté une enquête pendant 2 ans pour en arriver aux conclusions actuelles, et surtout, elle met tous les bâtons dans les roues possibles pour que la NFLPA ne puisse pas ou peu interviewer les gens reliés de près ou de loin à l’affaire. Si on ajoute à cela la bisbille entre les deux concernant les tests de HGH sur les joueurs (l’hormone de croissance humaine) pour une lutte anti-dopage, ça prouve que les relations NFL/NFLPA sont tendues… TRES tendues.

Mais alors que les gens voient sûrement l’histoire du Bountygate comme le plus gros scandale des deux (parce qu’il touche à un sujet justement très cher à Goodell, la sécurité des joueurs), l’affaire Cowboys/Redskins est moins révoltante mais beaucoup plus sournoise.